Exhumation du
cardinal de Richelieu - Paris, 1895.
Exhumation
des restes de Richelieu à la Sorbonne
par M. Hanotaux, ministre des Affaires étrangères
De retour de ma mission (de
consul) au Paraguay, j'étais, au cours de juillet 1895, en congé à Paris.
J'avais remis au Ministère un gros rapport illustré de nombreuses photographies
qui avaient intéressé Hanotaux, alors ministre. Quelques jours après la visite
que je lui avais faite, je recevais de son chef de cabinet un mot, me transmettant
de la part de son patron une invitation à le rejoindre le lendemain à la
chapelle de la Sorbonne, et, souligné, de me munir d'un appareil de
photographie. A défaut d'autre explication, je devinais qu'il y avait quelque
affaire concernant Richelieu.
Le lendemain, exact au
rendez-vous, je trouvais dans la sacristie de la chapelle une assemblée qui
comprenait : la Princesse de Monaco ; le Recteur de l'Université, Gréard ;
Roujon, Directeur des Beaux-Arts ; le peintre Detaille ; l'architecte des
monuments nationaux, Nénot ; le chapelain de la Sorbonne, l'abbé Poulain,
historien de Richelieu en concurrence avec Hanotaux.
La Princesse de Monaco s'était
fait accompagner de son père, le vieux juif Heine, et aussi d'un élégant jeune
hébreu, Meyer, secrétaire du Prince son époux : elle était veuve du Duc de
Richelieu...
Ces notabilités devisaient, en
attendant le Ministre, assises autour d'une longue table, sur laquelle était
placé un coffret dont le couvercle était scellé à la cire. Dans un angle de la
pièce, deux ouvriers, leur boîte d'outils à l'épaule, semblaient attendre qu'on
fit appel à leurs services.
Nénot, à qui je demandais le
but de la réunion, me fit alors savoir que nous allions exhumer Richelieu et
authentifier ce qui reste du Grand Cardinal. Hanotaux, ajouta-t-il, avait
décidé cette vérification, et, en outre, il s'était avisé que, sous sa dalle de
marbre, le malheureux crâne pouvait n'être pas en sûreté ; et c'est pourquoi,
après la reconnaissance à laquelle nous étions présentement conviés, il était chargé,
lui Nénot, de l'enfouir dans un bloc de béton qui comblerait toute la fosse.
Arrive Hanotaux. Salamalecs
auprès de la Princesse de Monaco qui, paraît-il, représentait la famille en
qualité d'ex-épouse du défunt Duc. La Princesse Alice était venue là dans une
toilette d'exhumation suave, printanière, avec un chapeau fleuri de toutes les
fleurs de la saison et des bracelets jusqu'aux coudes.
Hanotaux commence une
conférence sur les derniers moments de Richelieu, les vicissitudes réservées à
ses restes durant et après la Révolution, et il annonce ce que nous devons
trouver dans le coffret exposé sur la table, c'est à dire le masque du Grand
Cardinal, seul reste retrouvé, accompagné d'un procès-verbal, joint lors de la
seconde mise en bière.
Il me prie de fixer tout cela
sur une plaque de photographie.
Les deux ouvriers entrent en
action, le sceau est rompu, le couvercle de chêne dévissé laisse voir une
seconde cassette emboîtée dans la première et qui contient elle-même une
enveloppe de zinc sur laquelle se retrouve bien le procès-verbal annoncé, et
dont Hanotaux nous donne lecture, tandis qu'un des ouvriers, à l'aide d'un
chalumeau, lève le couvercle métallique sous lequel apparaît un bloc d'ouate.
Hanotaux retire cette ouate,
comme on déferait un pansement, et nous distinguons une face momifiée, une
pauvre tête mutilée, à laquelle adhèrent encore des cheveux, et une moustache
embarrassée de filaments de coton.
La scène est un peu pénible
pour les assistants qui ne sentent aucunement le besoin de cette reconnaissance
; celle-ci n'a en réalité d'autre but que de procurer à Hanotaux la macabre
satisfaction de tenir entre ses mains le crâne de son illustre prédécesseur.
Et, vraiment, cela n'a rien de shakespearien... Cette confrontation du Ministre
de M. Méline et du Chancelier de Louis XIII est uniquement grotesque.
Puisqu'elle doit être fixée pour l'Histoire, je saisis mon appareil et, sans
prévenir, je fais éclater le magnésium et je donne un coup d'objectif sur la
scène. La Princesse pousse des cris de paonne effrayée : elle ne veut pas être
photographiée auprès d'un cadavre, supplie-t-elle, cela lui porterait malheur !
Sans autre consentement, je continue à prendre une suite de clichés.
Gréard
entre Hanotaux en train d’officier et la princesse de Monaco surprise par le
photographe
A
gauche : Hanotaux lit le procès verbal.
- A Droite : Face à Roujon, Detaille,
de dos, fait un croquis du crâne placé entre eux.
Hanotaux
converse avec Gréard et la Princesse de Monaco pendant que Detaille (de dos)
dessine sous le regard de Roujon.
Hanotaux, avec des gestes qui
veulent être pieux, enlève les derniers flocons d'ouate. Il en profite pour
signaler l'exactitude de ses récits de la mort du Cardinal, et comment - pour
administrer les derniers remèdes - la moustache fut coupée, d'un côté, d'un
maladroit coup de ciseaux donné de travers sur la lèvre du mourant.
La ressemblance de ce masque
est encore frappante avec le portrait de Philippe de Champaigne ; la cassure du
nez - autre point d'histoire développé par Hanotaux - est une preuve de plus
d'authenticité.
Il semble que la découverte du
procès-verbal était suffisante, en admettant qu'il y eût une raison de douter
d'une identité que rien ne faisait suspecter ; et il eût paru décent de
s'arrêter à la troisième enveloppe et d'éviter cette nouvelle violation au
grand mort.
Je voyais bien à l'attitude de
mes compagnons, comme celle de Gréard, par exemple, que mon sentiment était
partagé ; mais Hanotaux allait toujours ; il dissertait devant notre petit groupe
gêné et muet ; il tournait et retournait la pauvre face avec des yeux
triomphants derrière son binocle - il a fait de Richelieu sa propriété ; il lui
appartient - et il lançait des regards dépourvus d'aménité à l'abbé Poulain
qui, en sa qualité de chapelain de la Sorbonne, s'était passé de son invitation
pour être ici présent. Donc, il tenait cette malheureuse tête dans ses mains,
et - pour que quelque autre ne pût l'imiter - il ordonnait, lui Ministre
d'occasion, qu'elle fût mise hors d'atteinte à l'avenir, en la noyant dans un
mètre cube de ciment.
Mais, toutefois, il se donna
encore le plaisir d'ajouter quelques mots de sa main, avec sa signature de
collègue Ministre et académicien, au procès-verbal original. Si, dans quelque
milliers d'années, n'est-ce pas, quelque Mariette remuant le sol de la Sorbonne
peut venir briser son béton, il ne retrouvera plus Richelieu - car, soumis à
cette expérience, les tissus commencent à s'écailler -, mais il fera apparaître
le nom d'Hanotaux à côté de celui du grand ministre de Louis XIII.
Il est temps de finir : la
face s'effrite. Hanotaux me demande de la photographier. Je la porte dans la
chapelle éclairée par le vitrail du dôme, je la dispose sur l'autel, et,
rapidement, je prends quelques clichés.
Detaille voulut tenter de
prendre un croquis, mais il ne put l'achever ; et Richelieu, réemmailloté dans
l'ouate, replacé sous le zinc de la triple enveloppe, fut reporté, sans autre
forme, dans le tombeau abandonné aux seuls maçons, Hanotaux et ses invités
s'étant éclipsés.
Réenfouissement
des restes de Richelieu
Cependant, auparavant, une
nouvelle injure avait été réservée au Cardinal. Lorsque, les trois couvercles
replacés, il avait fallu resceller le dernier, on vit le jeune Meyer couler la
cire dans les joints, et le père Heine, tirant de son gousset l'authentique
cachet de Richelieu, apporté par la Princesse de Monaco, y apposer l'empreinte
de ses armes. Ce ré-ensevelissement du Prince de l'Eglise, pilier du Royaume de
France, par ces deux juifs et cette juive, princesse d'opérette, fut ce qu'on
put imaginer de plus choquant et de plus bouffon.
Lorsque, le lendemain, je
portai le tirage de mes œuvres à Hanotaux, assis dans son cabinet, au propre
bureau de Richelieu qu'il avait fait tirer du Louvre pour son usage personnel,
il crut tout de même devoir me dire : " N'en distribuez à personne d'autre
; il faut bien avouer que c'est une petite profanation que nous avons commise
hier. "
Petite ! ! !
Auguste François
Le crâne du Cardinal
de Richelieu photographié à la Sorbonne en juillet 1895 par Auguste François.