Lettre à Léon
Gaumont - Chine, 1899.
La lettre ci-dessous adressée
à Léon Gaumont est écrite au crayon sur 7 bandes de papier de couleur rouge
d’environ 8 sur 20 cm. Chaque bande comporte 3 caractères chinois à la
verticale (Il s’agit en fait de cartes de visite chinoises qu’utilisait le
consul).
Le document original,
provenant du fonds Louis Gaumont, est conservé par le département des archives
de la Cinémathèque française, sous la cote LG57-B13. Ce fonds avait été forgé à
la fin des années 1950 et au début des années 1960 par Louis Gaumont lui-même
en vue d’une exposition (qui n’a jamais eu lieu) sur la Société Gaumont à la
Cinémathèque française.
Mon
cher Monsieur Gaumont,
J’envoie ceci un peu à
l’aventure mais pourtant j’ai espoir que cette carte vous parviendra. Voici
déjà un an que je bourlingue sur les rivières chinoises et que je cours sur les
rochers du Céleste Empire. Je commence à être à court de munitions de toutes
espèces et j’aurais besoin que vous m’envoyiez une provision de plaques les
plus fraîches que vous pourrez me faire choisir car elles auront un bout de
chemin à faire pour me rejoindre. Je suis encore suffisamment pourvu de 18 x 24
dont j’ai pu prendre quelques boîtes à Hong-Kong, mais il me faudrait environ
400 plaques de 8 x 9 pour jumelle stéréoscopique et dans les 2 à 300
6 ½ x 9. Tout cela en extra-mince. Si c’était un effet de la
bonté de Messieurs Lumière et fils de vouloir fournir des plaques qui auraient
la dimension exacte annoncée sur les boîtes, ma reconnaissance leur serait
acquise pour au-delà de l’existence (la leur). Ces messieurs (père et fils) ne
se doutent pas de la difficulté que l’on rencontre à recouper sur une route de
Chine, des plaques qui ne peuvent entrer dans les châssis parce qu’elles ont été
taillées en losange tandis que les châssis sont rectangulaires. Il m’a fallu
repasser au diamant près de 500 plaques 8 x 9 qu’il m’était
impossible de loger dans mon appareil. Maintenant si les étiquettes
« extra-minces » couvraient réellement des glaces sans épaisseur au
lieu des plaques blindées qu’il faut enfoncer à coups de maillet dans les
châssis pour les ressortir en morceaux, ce serait un réel perfectionnement
apporté à l’industrie Lumière. J’aimerais assez que les bénédictions dont je
gratifie cette maison tout le long de cette route, arrivent à destination.
Boîtes de plaques photographiques
utilisées par A. François
Je vous adresse sous
cette même enveloppe quelques épreuves tirées sur papier au bromure avec votre
révélateur Panchromatic B. Si cela peut vous donner une indication, voilà ce
que l’on peut encore obtenir avec un papier et un produit qui traînent depuis
un an dans des bateaux et sur le dos des coolies, avec la température de la Mer
Rouge et la saison des pluies du Kouang-Si et du Koueï-Tcheou. Il me reste
encore 3 blocs de ce révélateur et je compte qu’il marchera encore très bien
durant quelque temps. Quelques flacons seuls sont un peu colorés mais ils
donnent encore des résultats satisfaisants. Joignez donc encore 2 blocs de
Panchromatic B. Je n’en commande pas davantage car je vais me rapprocher du
Tonkin et je pourrai recevoir plus aisément des envois que l’on pourra espacer.
Il faudrait mettre tout
cela sous zinc en petits colis séparés, les faire porter à Monsieur Beau, chef
de cabinet du Ministre des Affaires étrangères au Quai d’Orsay, en le priant de
vouloir bien les faire adresser par les soins du bureau du Départ du ministère
à l’adresse suivante : Mr. François, Consul de France de Mong-Tse,
Province du Yun-Nan, Chine. Mon collègue me fera parvenir les paquets ou bien
j’enverrai des gens.
Portage de caisses de plaques photographiques sur la
route du Kouei-tcheou - 1899
Mes clichés précédents
sont chez vous en lieu sûr, n’est-ce pas ?
J’ajouterai à ces collections, des types qui sont jusqu’ici unique, de
populations inconnues photographiquement. Ce matin encore, j’ai photographié
sous la pluie, en plein sur la route, un type de Houa-Miao, excessivement
curieux. Je développe tout cela dans les auberges chinoises ou en plein vent,
avec ma chambre noire sac, en toile noire. Cela marche très bien. Vous devriez
travailler une cuvette à développement pour opérer sans chambre noire avec
verre rouge dessus et dessous et réservoirs sur les côtés pour les bains. Si
j’avais les verres transparents nécessaires, j’aurais déjà fait confectionner
cela en bois laqué. Un simple sac à chargement et une cuvette à développer
comme celle que je conçois suffiraient dans une exploration.
Je vous remercie mon cher
Monsieur Gaumont du soin que vous donnerez à mes petites commandes et je vous
envoie mes amicales salutations.
23ème jour de la 8ème lune (1899)
A. François
Consul de France
Carte de visite
chinoise d’Auguste François.
Les 3 caractères
« Fang-Su-Ya » correspondent à la transcription phonétique
approximative de « François ».
Les Chinois appelaient
le consul Monsieur Fang.