Hong-Kong, 1896.
Jules Develle (1845-1919), lorrain, député de la Meuse, avait participé
à de nombreux gouvernements, notamment comme ministre de l’Agriculture puis des
Affaires étrangères. Auguste François avait été son secrétaire et membre de son
cabinet au Quai d’Orsay.
Canton,
2 octobre 1896
Mon
cher Monsieur Develle,
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J'ai
trouvé Hong-Kong très développé depuis dix ans. Il faut reconnaître la
supériorité des Anglais. Il faut venir ici également pour les mieux haïr. De ce
rocher abrupt, dénudé, ils ont fait un port admirable, puissant, et une ville
superbe. A part une rue en bordure de la plage, toute la cité consiste en
maisons accrochées partout où il a été possible d'aplanir un espace et toutes
sont reliées entre elles par des allées, des sentiers plantés comme dans le
plus merveilleux parc. Un funiculaire porte au sommet du pic (à six cents ou
sept cents mètres) qui depuis mon dernier passage est devenu une ville. Il y
fait encore très chaud et humide mais on y respire un air fortifiant. Toutes
les pentes ont été cimentées dans les fissures, les torrents dérivés ; des
souterrains ramènent sur un seul versant toutes les eaux des pluies et sur cet
îlot sans sources, les Anglais ont toute l'eau nécessaire à leur tub, à l'arrosage
des pelouses de leur indispensable tennis et de leur polo.
Et
quelle admirable race que le Chinois ! Le tramway n'a pu lutter avec les
coolies pour le transport des matériaux de construction sur le sommet du pic.
Je m'émerveillais sans cesse durant mon séjour à Hong-Kong de voir des hommes,
des femmes et des enfants à peine échappés du sein, porter les uns jusqu'à
cinquante briques (plus grosses que les nôtres) pendues aux extrémités d'un
bambou. Un homme traîne deux poutres de quatre à cinq mètres de long ; des
femmes montent deux paniers contenant soixante kilos de chaux ; deux hommes
enlèvent un baril de ciment sur des pentes raides de montagne à pic. Chacun
monte deux fardeaux. Il porte le premier à une centaine de mètres, puis il
revient chercher le deuxième et ainsi de suite, utilisant par tranches les
repos de la descente à vide. J'ai calculé qu'en moyenne ces hommes portent une
charge au minimum égale à leur propre poids. Rien n'est plus curieux que ce
chemin de fourmis où les coolies se pressent par centaines en sautillant,
geignant dans toutes les contorsions de l'homme écrasé. Les épaules sont
déformées, les reins courbés, l'eau ruisselle des cuirs jaunes. Cela a quelque
chose d'infernal, dans lequel l'Anglais se promène flegmatiquement, dans sa chaise
à porteurs en lisant le cours des cotons, aussi correct que dans Regent Street
et aussi peu sensible aux peines de ceux qui le hissent à sa villa du pic. On
peut se demander ce que feront nos successeurs quand ce travailleur admirable,
qui vit (largement) de trois ou quatre sous par jour à Hong-Kong, dirigera son
activité contre notre Europe.
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Croyez-moi,
mon cher Monsieur Develle, votre tout affectueusement dévoué.
Auguste
François
Hong-Kong, vue sur la
baie