Eté 1870 à
Lunéville.
Auguste FRANÇOIS, auteur du
texte ci-dessous avait treize ans
lorsque éclata la guerre qui occasionna la chute de Napoléon III - fait
prisonnier à Sedan le 1er septembre 1870 - et l'annexion par l'Allemagne de
l'Alsace et de la Lorraine. A. François était né en 1857 à Lunéville. Ses
parents y tenaient un commerce de draperies place St-Jacques, à deux pas de la
mairie. L'un de ses grands-pères était jardinier à Lunéville, l'autre boulanger
à Domèvre à quelques kilomètres de là. L'ancienne capitale du roi Stanislas
était une importante garnison sur la ligne de chemin de fer de Paris à
Strasbourg. Les officiers de cavalerie y tenaient le haut du pavé. - Quelques
notes explicatives ont été ajoutées.
Depuis
plusieurs mois déjà, la presse de Paris est remplie de l'affaire de la vacance
du trône d'Espagne[1]. On la croit terminée par la renonciation du prince de
Hohenzollern, mais en juillet tout s'aggrave. Le bruit circule que l'Empereur a
été insulté et tout à coup c'est la guerre. On crie " à Berlin, à
Berlin ". Chaque soir la ville se porte à la gare, aux nouvelles. On
s'y arrache les journaux de Paris.
Le
22 juillet, la guerre est déclarée officiellement. C'est l'enthousiasme.
Personne ne doute que les Prussiens ne soient enfoncés d'un seul coup de
l'invincible armée impériale, une promenade militaire. Dans chaque maison on
pique au mur des cartes, hâtivement éditées, qui ne commencent qu'au Rhin et
qui marquent les étapes jusqu'à Berlin.
Les
hommes du service de sept ans[2], renvoyés dans leurs foyers depuis quatre ou cinq ans,
en congé illimité qui se prolongeait jusqu'à leur libération, sont rappelés à
leurs corps. Nous en avions déjà vus, au moment de la guerre du Mexique[3], quelques uns réendosser leur uniforme. Un de nos
serviteurs nous avait quittés pour reprendre sa lance après plusieurs années de
congés renouvelés.
On
voit reparaître les vieux uniformes de toutes les armes : fantassins avec le
sac, cavaliers et artilleurs avec le portemanteau en bandoulière, coiffés du
bonnet de police, s'éparpillant isolément, sans ordre, à la recherche de leurs
anciens régiments. La gare est pleine de leur tumulte et de celui de leurs
familles. Les cabarets regorgent de monde ; il fait une chaleur torride cette
année et on boit force bière en hurlant toujours " à
Berlin ".
Les
trains montant vers la frontière comme ceux descendant vers Paris sont bondés
d'uniformes défraîchis, portés en débraillé par des hommes qui, quittant les
wagons suivant leur fantaisie, vont s'abreuver pour reprendre un train suivant
ou même le lendemain. Lorsqu'ils parviennent à destination, leur régiment est
déjà parti. Certains ne l'ont jamais retrouvé. S'ils le rejoignent, ils sont
renvoyés au dépôt pour s'y faire équiper. Des remobilisés des régiments d'Alsace
repartent ainsi de Strasbourg, venus du Centre ou du Midi, pour retourner au
dépôt de Sézanne ou de Perpignan y percevoir leur équipement. On vit par
exemple des zouaves dont les bataillons étaient déjà en place à Forbach,
repartir pour Alger ou Constantine et courir après jusqu'au camp de Châlons ou
... Sedan.
Même
pour des profanes non prévenus, on sentait un désordre qui faisait branler la
tête à de vieux retraités de la ville.
Pendant
ce temps, nos garnisons s'ébranlaient vers la frontière. Et leur départ était
pour nous, collégiens démobilisés par anticipation, l'occasion de courir sur
les routes, en accompagnement de notre cavalerie, jusqu'au premier temps de
trot qui nous obligeait à lâcher pied.
Je
revois la sortie de la brigade de lanciers, d'abord rangée en masse d'escadrons
sur la grande place des Carmes, devant leurs quartiers ; le hérissement des
lances aux bras des cavaliers et le flottement de leurs flammes rouges et
blanches au-dessus des talpacks de cuir verni.
Un
de leurs colonels habitait une des maisons de mon grand-père, face au quartier
des Carmes. Le souvenir m'est encore vivace de ce chef qui, ayant passé en
revue ses unités, s'avança jusqu'au balcon sur lequel se trouvait sa femme et
ses enfants et, les ayant salués du sabre, commanda la marche. Le visage grave
de cette femme, son expression de tristesse, m'est resté gravé, tandis que son
regard s'attachait sur la colonne jusqu'à la disparition du dernier cavalier.
Un détail encore m'avait vivement frappé. Sous la porte cochère, un joueur
d'orgue de Barbarie ne cessait de tourner sa manivelle et de moudre
inlassablement la lamentation du Trouvère dans sa prison, tout au long
du défilé. C'était encore un des innombrables musiciens ambulants d'outre-Rhin,
comme toute la région d'Alsace et de Lorraine en était infestée, espions dont
nous avons eu l'occasion d'en reconnaître sous le casque à pointe lors de
l'invasion.
Quelques
jours plus tard, c'est la brigade de cuirassiers que nous accompagnions sur la
route de Strasbourg. Elle était commandée par le général de Brauer dont un des
huit fils était mon camarade de classe. Une batterie d'artillerie la suivait.
Eu égard au fils du général, nous eûmes la faveur de monter sur un caisson
trépidant lorsque la colonne prit le trot, et nous fûmes déposés, moulus, à
Marainvillers, huit kilomètres de Lunéville où nous rentrâmes fort tard pour
une réception fraîche dans nos familles.
En
remplacement de nos régiments, arrivèrent successivement les escadrons des
chasseurs d'Afrique de la division Margueritte se concentrant à Lunéville à
mesure de leur débarquement. Les casernes étaient vides, mais les troupes
d'Algérie ne connaissaient que le campement. Les chasseurs dressèrent leurs
tentes sous les marronniers de Stanislas, dans la belle promenade des Bosquets,
les chevaux mis à la corde sur les pelouses.
Dès
lors, nous ne quittions plus les Bosquets, rôdant entre les tentes, nous
pénétrant de tous les détails de la vie militaire d'Afrique, parmi ces vieux
soldats bavards enchantés de conter leurs aventures. Quatre hommes par tente,
chacun d'eux portant dans son paquetage un morceau de sa toile ; deux carabines
faisant support de ces petits abris triangulaires ; une botte de paille étendue
pour literie. L'effectif de deux tentes pour une marmite et un bidon réglementaire
auxquels s'ajoutait généralement une peau de bouc pour le vin et que la tablée
se passait de main en main pour déverser à bout de bras un jet de breuvage
tombant droit dans le gosier, sous la surveillance attentive des participants.
La
population défilait tout entière autour de ces vieux briscards - presque tous
étaient des rengagés, beaucoup de barbes grises en étaient à leur troisième
congé, le bras couvert de chevrons. Au soir, les ménages se donnant le bras
venaient se documenter sur la vie d'Afrique et écouter les histoires des
douars. Les savants de la ville s'instruisaient même de la botanique en
herborisant dans les balles de foin pressé transportées d'Algérie - il semblait
que ces petits chevaux barbes ne pussent être nourris de nos herbes lorraines.
Un
matin, le camp prenait un aspect singulier. Nombre de chasseurs étaient
allongés, l'oreille collée à terre. Autour des tentes on discutait : "Je
te dis que c'est le canon ; on se bat". Dans l'après-midi, le train
ordinaire reprit. Il y avait eu marché à Lunéville avec une affluence de petits
cochons de lait qui firent prime ; les chefs de popote n'en laissèrent pas un
sur la place, et toute la fin du jour ce fut un égorgement ; préparation de ces
petits gorets cuits dans leur peau, embrochés sur des baguettes de fusil.
Le
lendemain, le général Margueritte ordonne une manœuvre : regroupement de sa
division dont le dernier élément venait de débarquer. Ce fut comme une fantasia
offerte à la population, sur le champ de Mars, le plus vaste de France et qui
pouvait figurer le désert. Charges dans des tourbillons de poussière, attaque
de canons et prise d'une batterie des fameux canons mitrailleurs, artillerie
tenue en réserve ici on ne sait pourquoi quand en Alsace elle faisait défaut.
Les petits arabes hennissant, se cabrant, franchissaient les affûts, leurs
cavaliers sabrant les servants sur la pièce. C'était magnifique et pas un
citadin qui ne fut convaincu que devant de tels diables les Prussiens ne
sauraient tenir.
La
manœuvre terminée, les chevaux dessellés, les marmites sont au feu, et les
petits cochons commencent à prendre une belle coloration de rôti. Des rumeurs
qui commençaient à courir en ville se précisent. Vers midi, les trompettes des
quatre régiments sautent sur leurs chevaux, à cru et à toute allure sur les
affreux pavés, glissant des quatre pieds, ils sonnent la générale, rappelant
les isolés répandus dans les estaminets.
Au
camp, les marmites brûlantes sont renversées d'un coup de botte pour évacuer le
bouillon, la viande roulée dans un linge ; le paquetage est rétabli, toiles
roulées, gamelles, ustensiles arrimés au troussequin sur lequel quelques petits
cochons en réserve sont en outre liés. En quelques heures la division des
chasseurs d'Afrique est en selle, en route vers Metz.
Un
de ses escadrons devait se croiser à Pont-à-Mousson avec un détachement de
uhlans et le sabrer dans les rues mêmes de la ville.
Dans
les Bosquets des feux fumaient encore ; un entassement de paille, de fourrage
et de fumier encombrait les pelouses. Plus un soldat dans Lunéville habituée au
bruit des éperons, des sabres et des sonneries ; un silence morne dans l'appréhension
des nouvelles, avec une vague connaissance d'une défaite à la frontière.
Des
trains commencent à repasser à la gare, le matériel refluant d'Alsace, pris
d'assaut par les fuyards de Reichshoffen.
On
revoit les mêmes scènes que précédemment ; des soldats débraillés, de tous les
corps, mêlés, sans armes, envahissent les cafés et buvettes à ce premier arrêt
des trains. C'est la même clameur et les mêmes beuveries ; les cris
" à Berlin " sont remplacés par ceux de
" trahison ". A la terrasse du café de la gare, deux
immenses cuirassiers pérorent ; démontés au cours de la charge, ils ont jeté
cuirasse, casque et sabre, ils n'ont conservé que la matelassure de toile sur
la tunique. Ils hurlent contre les chefs qui les ont trahis, les lançant à la
charge au travers des houblonnières contre une infanterie abritée par les
perches et qui les fusillait à bout portant.
Les
chemins de fer coupés, le flot des hommes débandés afflue par la route de
Strasbourg dont les fossés sont semés de fusils, de shakos et de tous les
impedimenta de la tenue militaire. Ils couchent éreintés dans les rues, dans
les granges des fermes et s'écoulent pressés vers Nancy.
Deux
jours ensuite, commence à défiler ce qui subsiste des unités encore encadrées,
mais en troupeau, sans ordre ; beaucoup d'hommes sans armes, malmenant leurs
officiers qui s'efforcent de les tenir dans le rang.
Le
maréchal de Mac-Mahon[4], avec seulement quelques officiers, traverse Lunéville.
J'eus l'occasion de le rencontrer alors que, évitant les rues, il suivait les
allées de la promenade des Bosquets. Un grand manteau de troupe gris, comme en
portait la cavalerie, recouvrait sa tunique et masquait ses insignes de grand
chef. Ses bagages étaient perdus, comme ceux du père de mon ami de Brauer dont
la brigade était si réduite que je ne vis repasser qu'un groupe de nos
cuirassiers. Leurs cuirasses et casques portaient des traces de balles qui les
avaient enfoncées sans percer. Un des rares officiers conservait un casque dont
la bombe était fendue, tranchée au ras du cimier.
Toutes
ces troupes, harassées, passaient sans s'arrêter, se hâtant vers Châlons.
Mac-Mahon interrogea un vieux gardien du parc sur la route à prendre pour
gagner Nancy. Cet ancien soldat lui répondit sans aménité en remarquant qu'un
maréchal de France devrait savoir user d'une carte.
Successivement
passèrent ensuite le corps de Frossard, marchant à peu près en ordre, quoique
la discipline fut fort relâchée ; celui de Failly qui n'avait rejoint le
maréchal qu'après la bataille et dont les hommes avaient peut-être le plus de
relâchement.
Puis
la ville se vida de tout mouvement ; seuls quelques retardataires parurent
encore qu'on pressait de suivre pour ne pas tomber aux mains des Prussiens
qu'on croyait sur leurs talons.
Le
dernier que je rencontrai fut un fantassin, monté sur un cheval d'officier. Il
était malade ou blessé et me demanda de le conduire à l'hôpital. A la porte il
me tendit la bride de sa monture ; il n'y avait plus aucune autorité militaire
pour en prendre possession. Dans le même temps, chez mon grand-père, un superbe
cheval arabe était abandonné par son cavalier, mais là, c'était la monture qui
ne pouvait aller plus loin ; blessée d'une balle au paturon, la pauvre bête
avait parcouru d'une traite la route de Frœschviller à Lunéville.
Dès
lors, nous demeurions isolés entre la déroute des nôtres et l'ennemi, qu'on
s'attendait à voir paraître d'un moment à l'autre puisque nous savions que
Mac-Mahon n'avait pas laissé même un canon pour l'arrêter dans les défilés des
Vosges, ni même détruit les tunnels.
Cependant
des jours se passent sans nouvelles des Prussiens. Le cinquième jour après la
disparition du dernier pantalon rouge, comme nous sortions de table, un
cavalier débouche sur la place Saint-Jacques, un hussard tout noir, avec une
tête de mort au schapska, qui vient s'arrêter, sans avoir à s'informer, devant
la mairie à laquelle notre maison fait face.
Mon
père m'expédie aussitôt chez mes grands-parents, à l'autre extrémité de la
ville, pour les prévenir et nous tenir en communication. Au détour de plusieurs
rues, je rencontre de ces cavaliers isolés, s'y dirigeant sans hésitation,
comme s'ils eussent été de la garnison.
La
demeure de mon grand-père a vue sur la ligne de collines opposée à la direction
de Strasbourg ; on y distinguait de ces mêmes cavaliers, ayant par conséquent
contourné la ville, épars dans les vignes dont ils paraissent connaître les
sentiers. A ma rentrée dans le centre, l'un de ces hussards était descendu de
cheval et entré dans un magasin de mercerie ; il y faisait l'emplette d'une
chemise.
Sur
la place Saint-Jacques, ces hommes arrivaient successivement par toutes les
rues et se rangeaient en ligne d'environ un demi escadron. La troupe au
complet, un officier mit pied à terre, pénétra dans l'Hôtel de Ville et là,
dans le meilleur français, ordonna au maire accouru, de lui remettre les clefs
de la cité. M. Keller lui fit observer que Lunéville n'avait jamais eu ni
murailles, ni portes, ni par conséquent de clefs. " Mais si, mais si,
lui fut-il répondu. Vous possédez de magnifiques clefs qui ont été offertes à
votre Impératrice lors de sa visite ", qui datait de 1867.
On
dut rechercher dans le grenier aux accessoires de la mairie où en effet étaient
reléguées deux grosses clefs en bois doré liées par un ruban sur un coussin de
velours rouge. Je revois encore ce commandant des premiers éclaireurs prussiens
remonter à cheval, ce coussin placé sur le pommeau de sa selle. Il ramena son
détachement reformé dans la direction de l'Est, annonçant pour le lendemain le
passage de tout un corps d'armée et ordonnant de tenir prêtes quinze mille
rations pour le contingent de la ville seule.
Le
cercle militaire était tout proche de notre demeure ; le soir même, le gérant
contait à mon père que ce commandant prussien était descendu chez lui, s'était
fait servir de la bière et, tout en se rafraîchissant, lui avait dit :
" Eh bien, M. Devoir (c'était son nom), vous ne me reconnaissez pas ?
Eh bien oui, c'est moi, c'est Joseph ". Joseph, le garçon de café qui
quelques mois auparavant, rasé et serviette sur le bras, servait des
consommations à nos officiers et préparait les voies de l'invasion !
Le
lendemain, aucune troupe ennemie ne se présenta, ni le jour suivant et les
quinze mille rations avaient sans doute été ordonnées pour assurer la retraite
de cette reconnaissance aventurée.
Le
troisième jour, au matin, un officier parut à la mairie, suivi d'un seul
cavalier. Celui-ci devait également avoir pratiqué notre ville. Il choisit
notre demeure comme logement, y établit son ordonnance et nous quitta. C'était
un médecin haut gradé devançant son armée dans je ne sais quel but.
A
la fin de ce même jour, ce fut en effet l'invasion massive. Des colonnes
d'infanterie dévalèrent en torrent par toutes les rues, puis leurs lignes
firent face aux deux rangées des maisons et, dirigées par les feldwebel, les
hommes emplirent nos demeures jusqu'aux greniers. Le trop plein redescendait et
s'insinuait dans la maison voisine et, de proche en proche, tous les
appartements furent comblés, sans laisser la moindre place aux habitants.
Ensuite,
ce fut un fleuve de troupes passant à marches forcées, martelant de leurs
bottes ferrées le pavé de nos rues au son des fifres jouant inlassablement
l'air de la Reine Louise, des musiques avec leurs porteurs de lyres, de
chapeaux chinois agitant leurs sonnettes.
Chaque
jour nos maisons remplies se vident au matin pour se remplir à nouveau le soir.
Puis ce flot écoulé vers Châlons, à la recherche de Mac-Mahon, ce fut pour la
ville le silence et l'ignorance totale de ce qui se passait au-delà de nos
faubourgs.
Seuls
des services d'étape, quelques hommes d'intendance demeuraient parmi nous, ne
se révélant que par des réquisitions de toutes natures qui épuisèrent vite nos
provisions. En peu de temps ce fut du côté de l'Allemagne qu'il fallut nous
ravitailler de produits venant de Bade qui nous les vendait très cher. Des
files de charrettes d'outre-Rhin suivirent que remplacèrent aussitôt nos
charrettes alsaciennes et lorraines avec leurs attelages et conducteurs
réquisitionnés et qui barraient les routes d'une file indiscontinue depuis
Strasbourg.
Un
jour que, avec d'autres galopins, je circulais le long de ces convois, hors
ville, en quête d'aventures, je suis hélé par le domestique de mon grand-père,
conduisant ses chevaux attelés à une longue voiture à ridelles chargée de
caisses, munitions, vivres, etc. Son convoi qui venait de parcourir une
trentaine de kilomètres devait s'arrêter pour la nuit. Des soldats
distribuaient aux conducteurs des billets de logement. Notre domestique en
reçut un et, emmenant avec lui ses chevaux dételés, me demande de le conduire à
son logement. En chemin il me fit part de ses craintes d'être entraîné au loin,
bien que réquisitionné pour une ou deux étapes. Une idée me vient à l'esprit
aussitôt. Je lui fais prendre un chemin de traverse conduisant hors ville vers
la route des Vosges où ne passaient pas de troupes, et de là, par les bois il retournerait
à son village. Je n'avais pas songé qu'il fallait traverser la ligne de chemin
de fer et nous tombâmes sur un garde de la voie qui nous arrêta. Mon compagnon
se crut perdu, mais je lui pris son billet de logement timbré de la
kommandantur et l'agitai sous le nez du Prussien. Bien entendu, ignorant des
rues, il nous laissa passer. Hors de vue, nous montâmes sur les chevaux que
quoique éreintés nous menâmes à toute allure jusque dans la forêt de Mondon et
là je le laissai, lui indiquant sa voie de retour par les bois communaux qui se
succèdent presque sans interruption jusqu'à la forêt de Domèvre, sa commune, où
il retrouva d'ailleurs réfugiés les animaux de la population, à l'abri des
réquisitions.
Pour
moi, j'avais une bonne route à faire pédestrement et quand j'arrivai tard à la
maison je commençai à y être mal accueilli par mes parents avant d'avoir pu
conter mon exploit.
Auguste
François
Auguste FRANÇOIS lycéen à
Nancy vers 1874 Auguste
FRANÇOIS cuirassier à Commercy en 1877
[1] - Pour remplacer la reine
d'Espagne Isabelle, chassée par le général Prim en 1868, Bismarck avait fait
accepter aux Espagnols la candidature de Léopold de Hohenzollern. La France
inquiète de l'hégémonie de la Prusse en Allemagne après la défaite qu'elle
venait d'infliger à l'Autriche à Sadowa, ne pouvait tolérer l'installation sur
le trône d'Espagne d'un prince allemand, même catholique. Les protestations
françaises entraînèrent la renonciation de Léopold, obtenue le 11 juillet 1870
sur les conseils du roi de Prusse, son cousin. Mais le gouvernement de Napoléon
III exigeait de la Prusse une renonciation officielle et définitive à
intervenir dans les affaires espagnoles. Suivant l'impératrice Eugénie,
elle-même espagnole, les bellicistes saisirent la première provocation que leur
offrit Bismarck, la fameuse dépêche d'Ems, pour déclarer la guerre à la Prusse,
ce qui fut fait le 19 juillet 1870. - La couronne d'Espagne sera pour finir
attribuée à Amédée de Savoie.
[2] - Le service militaire de sept
ans basé, sur le tirage au sort (les bénéficiaires de bons numéros ne faisaient
qu'un an) et la possibilité de payer un remplaçant, ne touchait qu'une faible
partie du contingent. Les remplaçants étaient en fait des militaires de
carrière. Le gouvernement avait vainement tenté de réformer ce système qui ne
permettait pas la constitution d'une réserve suffisante.
[3] - En 1861 la France,
l'Angleterre et l'Espagne avaient organisé une expédition contre le Mexique qui
avait suspendu le remboursement de ses dettes. Napoléon III voulait en profiter
pour y renverser la république anticléricale de Juarez et installer une
monarchie catholique dont il offrit la couronne à Maximilien, frère cadet de
l'Empereur d'Autriche. Le corps expéditionnaire français était sous les ordres
du général Bazaine ; le général Prim commandait les troupes espagnoles. Après
le rapide retrait de l'Angleterre et de l'Espagne,
l'expédition française se termina en désastre. Abandonné par la France que les
Etats-Unis sommaient de se retirer, Maximilien qui avait été proclamé empereur
en 1864, fut capturé et fusillé par les Mexicains en 1867. Son épouse
Charlotte, fille du roi des Belges, sombra dans la folie.
[4] - MAC-MAHON (1808-1893) : Il
s'était distingué à Malakoff en 1855, pendant la guerre de Crimée. Les
campagnes d'Italie lui valurent en 1859 le bâton de maréchal et le titre de duc
de Magenta. Gouverneur général de l'Algérie de 1864 à 1870, au début de la
guerre il reçut le commandement du 1er corps de l'armée de Rhin.
Blessé et fait prisonnier à Sedan, il sera vite libéré. Placé par Thiers à la
tête de l'armée de Versailles, il organisera la répression de la Commune de
Paris. Après la chute de Thiers en 1873, porté à la présidence de la République
par les monarchistes, il fera leur politique. Contrarié par les succès des
républicains aux élections de 1876 et 1877, il démissionnera en 1879.